Gélatine, gélifiants, gels ?
Hervé This nous éclaire
Expérimentation Formation Sciences
samedi 17 septembre 2016, par
Présentation
Comme bon nombre d’enseignants, de formateurs et de professionnels, je reçois des messages d’Hervé This.
Toujours, à leur lecture, je retrouve le souci d’identifier les choses avec des mots justes. Il nous apporte son expertise de physico-chimiste pour que nous ayons un langage approprié.
Je viens de lire son dernier envoi qui fixe une erreur récurrente : la confusion entre gélatine et gélifiants.
La gélatine végétale, ça n’existe pas !
Ces temps-ci, on voit apparaître le terme fautif de "gélatine végétale". J’invite mes amis à ne pas l’utiliser, sous peine de paraître bien ignorants... et de se condamner à l’échec technique.
Au fond, je fais un peu la fine bouche, car la popularisation de cette expression « gélatine végétale » est une sorte de couronnement : c’est la preuve que la cuisine moléculaire a gagné, qu’elle est partout, ce qui est donc une explication suffisante pour expliquer qu’elle ne soit plus nulle part. De même, après que le gaz a été mis à tous les étages, on ne l’a plus signalé, parce que cela était devenu inutile. De même pour la cuisine moléculaire : il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et les gélifiants dont on m’accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l’on en vient à les confondre avec la gélatine, qu’on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu’elle fut un jour moderne.
Tout cela est confus, je vais expliquer en détail.
Un peu d’histoire
Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à l’aide de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l’eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C’était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d’usines qui se mirent à extraire et vendre la gélatine : en feuilles, en poudre.
La gélatine ? C’est en effet la matière gélifiante du pied de veau et d’autres tissus animaux, de sorte que l’on n’avait plus qu’à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu’on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, j’ai vu qu’il existait de nombreux autres gélifiants : caraguénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc., et c’est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d’utiliser ces produits.
L’accueil fut amical, et la réponse fut négative. J’étais naïf et désolé. Car, alors que je n’avais rien à vendre, que je pensais aux progrès de la profession, je voyais bien des intérêts à l’emploi de ces composés : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous...
Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu’il y en a dans un triangle !
Ajoutons que ma proposition d’employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j’ai nommé « cuisine moléculaire ». Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n’est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l’hypothèse supplémentaire que l’on fait mieux ce que l’on comprend !
Finalement, j’ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s’est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu’est la gastronomie moléculaire (je répète qu’il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et il faut être bien aveugle -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).
Parlons de gélifiants d’origine végétale
Aujourd’hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu’elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre des déboires techniques.
Faisant l’hypothèse qu’un bon technicien mérite de comprendre les outils qu’il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n’existe pas !).
La gélatine n’est pas végétale : c’est une matière extraite des tissus animaux et faite d’une protéine collagène, modifiée à des degrés divers par la cuisson qui l’extrait des tissus animaux.
La gélatine est agent gélifiant, ce qui signifie qu’elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d’obtenir ce que l’on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d’obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous de nature protéique. Par exemple, l’amidon, la fécule, faits de molécules d’amylose et d’amylopectine, permettent de produire des gels que l’on nomme en l’occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d’autres agents gélifiants que l’on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l’amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j’y ai vu qu’une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d’un seul. Je n’ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu’un seul des deux composés n’aurait pas eues, mais il y a lieu d’être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n’est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j’ai vu que les deux composés du mélange à la désignation fautive étaient d’origine végétale, de sorte qu’on n’a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu’il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt « issus de végétaux », que « végétaux » eux-mêmes.
Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d’abord de la loyauté, de l’honnêteté. D’autre part, la discussion que nous faisons ici est en réalité une manière d’aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d’emploi d’un gélifiant d’origine végétale, fait d’un ou de plusieurs composés, n’est pas du tout celui de la gélatine, et que l’on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon.
Il y a un mode d’emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.
Et c’est ainsi qu’avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !
Hervé This vo Kientza
Directeur de l’International Centre for Molecular Gastronomy AgroParisTech-INRA : http://www.agroparistech.fr/-Centre-international-de-.html
Directeur scientifique de la Fondation Science & Culture Alimentaire (Académie des sciences) : http://www6.inra.fr/fondation_science_culture_alimentaire
Secrétaire de la Section Alimentation humaine de l’Académie d’agriculture de France : http://www.academie-agriculture.fr/
Groupe de Gastronomie moléculaire
Laboratoire de chimie analytique, UMR 1145 Ingénierie Procédés Aliment GENIAL
16 rue Claude Bernard, 75005 Paris.
tel : +33 1 44 08 72 90
Courriel : Hervé This ou Hervé This
Twitter : @Herve_This ;
Skype : hervethis
Une présentation des travaux : http://www.canalc2.tv/video/13472
Site : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
Blogs :
– http://www.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-.html
– http://hervethis.blogspot.fr/
– http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/
– http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/
– http://molecular-gastronomy-international.blogspot.fr/
– http://hthisnoteanote.blogspot.fr/
Dans la même rubrique
Colloque de la Société Scientifique d’Hygiène Alimentaire
120 ans de recherche au service de l’alimentation
Institut national de recherche et de sécurité. Formation et prévention
Prévention des risques professionnels avec TutoPrév'
Louis Pasteur
Bicentenaire de la naissance du scientifique
Les 14 allergènes à déclaration obligatoire
Image interactive et fichier svg
Le « Paquet hygiène » - 2022
Textes et règlements
Étiquetage des viandes dans les établissements de restauration
Décret n° 2022-65 du 26 janvier 2022